À propos de la structure musicale du song Seeräuberjenny
Extrait de : Laurent FENEYROU, « L’Opéra de quat’sous », in « Dramaturgie musicale et idéologie, Brecht et ses musiciens », dans Musique et dramaturgie, Esthétique de la représentation au XXème siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, p.114.
« N° 6 Seeräuberjenny (Jenny-des-Corsaires) (Allegretto)
Ou Traüme eines Küchmädchens (Rêves d’une fille de cuisine)
Clarinettes, trompette, trombone, percussion, banjo, piano
Didascalie : « Éclairage de Song : lumière dorée. L'orgue s'illumine. Trois lampes descendent des cintres au bout d'une perche et on lit sur les panneaux : Jenny-des-Corsaires. » Il en sera de même pour les numéros 7,9,14,15,17 et 20, avec leurs titres respectifs.
Ce song célèbre, chanté soit par Polly, soit par Jenny, est proche de celui que Brecht composa (arrangement de Franz Bruiner). Ernst Bloch loua ses connotations expressionnistes et fantastiques, sa tendance messianique et son romantisme révolutionnaire, et établit un parallèle avec la Senta du Vaisseau fantôme et l'Elsa de Lohengrin. Lotte Lenya en fut l'interprète, de sa voix « douce, élevée, légère, dangereuse, froide, avec la lumière du croissant de lune » (Bloch).
Le jeu leggiero et la dynamique piano s'opposent aux lourdeurs du numéro précédent. Le piano est l'instrument conducteur, sur lequel se greffent les vents, avec un rythme obsessionnel (deux doubles croches \ 3 croches ). Trois strophes, persiflage des brigands, s'enchaînent à une quatrième et dernière qui prend la forme lente d'une marche lente (Meno mosso), plus menaçante. La structure des quatre strophes est en trois temps :
1. Progression haletante autour de l'intervalle de tierce mineure (sol-si bémol, la-do, si bémol-ré bémol, fa-la bémol, avec mouvement contraire à la basse), au cours de laquelle Weill note en Schprechgesang la dernière incise ;
2. Articulation autour de deux notes pivots, si et fa dièse, avec des intervalles de quinte et de sixte, Weill utilisant, dans la quatrième strophe, le parler libre ;
3. Ralentissement (Breit) à effet cadentiel (I, V, IV, V) servant de conclusion : l’ambitus, large, et la nudité de l'écriture aboutissent à une demi cadence en si mineur ( sur fa dièse), qui s'enchaîne à la reprise au triton de la fondamentale, do mineur. »