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A propos de Schweyk dans la deuxième guerre mondiale (1943)

 

Schweyk, grotesque

Le personnage de Schweyk fut inventé par un écrivain anarchiste pragois, Jaroslav Hasek, exact contemporain de Kafka. Personnalité particulièrement haute en couleurs, cet espèce de Coluche SDF connut une vie extrêmement mouvementée. Entre mille autres activités excentriques, il fonda notamment, en 1911, le « parti du progrès modéré dans les limites de la loi ». Il fut également directeur d’un « institut cynophilique » : marchand de chiens errants, il les attrapait et leur inventait un pedigree avant de les revendre. Hasek commença à publier en 1917 Les aventures du brave soldat Schweyk, un livre dont il poursuivra la rédaction jusqu’à sa mort en 1923. Le livre d’Hasek présente toutes les caractéristiques du grotesque relevées ci-dessus. Bavard incorrigible, incarnation du peuple, Schweyk est, comme tous les Tchèques, en butte aux excès tatillons de la bureaucratie habsbourgeoise. Placide, bon vivant, il déconcerte par sa stupidité tous les inquisiteurs de l’armée autrichienne. Sa bêtise est-elle une ruse ? Impossible d’en décider. Toujours est-il que sa soumission enthousiaste aux idéaux de l’occupant constitue un formidable instrument de résistance.Le livre de Hasek connut un succès considérable. Aujourd'hui encore, comme sous le communisme, il incarne la capacité de résistance bonhomme et carnavalesque du peuple tchèque face à toutes les dictatures bureaucratiques.

Brecht, Schweyk

La notoriété du Brave soldat Schweyk a très vite dépassé les frontières de la Tchécoslovaquie pour se répandre dans toute l’Europe centrale. En Allemagne notamment, l’œuvre connut un vif succès. C’est ainsi que, dès 1928, Erwin Piscator propose une célèbre adaptation, à laquelle Brecht a collaboré. [1]Brecht a également écrit le scénario d’un « Schweyk-Film », ainsi qu’un projet de « Schweyk-Fabel pour Kurt Weill ». Il était fasciné par ce personnage, et considérait le livre de Hasek comme une des dix grandes œuvres de la littérature mondiale.Schweyk dans la deuxième guerre mondiale fut écrit aux Etats-Unis, entre 1941 et 1944, avec la collaboration de Hanns Eisler pour la partie musicale [2]. Comme l’indique le titre de la pièce, Brecht transpose dans l’actualité contemporaine les aventures du brave soldat. La Tchécoslovaquie est occupée par les nazis ; l’espionnite, les restrictions et le marché noir constituent la réalité quotidienne. La population vit dans la crainte du STO et de l’engagement forcé pour le front russe.Il est à noter que Brecht reprend de nombreux éléments de l’univers du roman de Hasek : le cadre bien sûr, le « Calice », café populaire dans Prague occupée ; mais aussi des personnages (Brettschneider, l’aumônier, …), et des épisodes (par exemple l’attentat de Sarajevo qui devient dans la pièce l’attentat contre Hitler). L’esprit général de l’œuvre est évidemment maintenu.

Brecht, le grotesque, la guerre

Il n’est pas étonnant que Brecht ait été fasciné par l’univers grotesque d’Hasek, dont il a lu très tôt le roman. Brecht aimait les pitres, et une de ses premières grandes admirations a été pour le clown Karl Valentin.
Le grotesque est omniprésent dans l’œuvre du dramaturge allemand. Et son pouvoir de grossissement est en somme inséparable du concept de « verfremdung ». Il est aussi très lié à la représentation que Brecht propose de la guerre, comme on peut le voir non seulement dans Schweyk, mais aussi par exemple dans Homme pour homme, ou La résistible ascension d’Arturo Ui.

Grotesque dans la pièce

Le grotesque est un composant essentiel de Schweyk dans la deuxième guerre mondiale.
Il est particulièrement intéressant à observer du point de vue du mélange des genres, et au niveau des personnages.


[1] Voir la notice à Schweyk dans la deuxième guerre mondiale, d’André Gisselbrecht et Joël Lefebvre, in BRECHT, Théâtre complet, volume IX, Paris, L’Arche, 1961, pp. 122-124.

[2] Ecrit aux Etats-Unis, Schweyk n'y sera jamais représenté par Brecht. La pièce sera créée en polonais le 17 janvier 1957 à Varsovie. Et en allemand, le 1er mars 1958. Voir BERG/JESKE, Bertolt Brecht, L'homme et son oeuvre, p.152.